Il y a 74 ans
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Re: Il y a 74 ans
Merci beaucoup pour ce récit émouvant et passionnant.
_________________
Mon blog : http://jardinsdepierre.blogspot.fr/
naash- Messages : 3233
Date d'inscription : 01/06/2016
Re: Il y a 74 ans
Fort de Penthièvre
Le 29 ou 30 avril, nous fûmes transférés Calindre, Salomon et moi de bon matin dans une grande cellule où vinrent nous rejoindre quatorze autres détenus. Notre groupe de dix-sept prit place dans un autocar de la Wehrmacht sous gardiennage de quatre ou cinq soldats placés à l'avant mitraillette pointée.
Nous empruntâmes la route d'Auray où nous bifurquâmes vers Quiberon. Notre destination était le Fort de Penthièvre. je fus pris d'un mauvais pressentiment en voyant la forteresse: c'était l'endroit idéal pour procéder à des exécutions.
Nous étions les premiers occupants. Une grande salle (20m sur 10) nous fut affectée: une porte, quatre ouvertures sans vitres mais avec barreaux tenaient lieu de fenêtre. Une seule botte de paille en guise de literie nous fut attribuée.
Nous fîmes connaissance: nous étions 17, dont 14 originaires de Ploërmel. Je me souviens de certains: Calindre, Cherel, Turpin, Alain, Salomon, Guillo, Hervy, Dorléans, impliqués dans la même affaire et âgés de 16 à 35 ans. Les deux autres, Thomas de Camors et Lantil de Quiberon, avaient été arrêtés en février 44. Je fraternisais d'emblée avec Cherel et Thomas.
(Notes tirées du site "Résistances-Morbihan" dont les sources sont: Le Morbihan en Guerre (édition de 1978) de Roger Leroux et Le Livre mémorial de la Déportation, Tomes II et III.
La plupart des noms cités par mon grand-père appartiennent au mouvement "Vengeance", auquel lui-même a adhéré jusqu'au début 1944.
Quelques renseignements nominatifs, même si le récit reviendra sur ces personnages:
-Cherel Louis A.C2 alias Petit Louis P.1. Engagé le 1er janvier 1943 en qualité d’homme d’opérations de la section A.C, a ensuite travaillé avec L’A.S F.F.I, arrêté le 3 mars 1944, fusillé le 30 juin 1944.
- Calindre Henri A.C6 alias Mistringue P.1. Engagé le 1er janvier 1943 pour fourniture de faux papiers et opérations, a ensuite travaillé avec L’A.S, arrêté le 3 mars 1944, fusillé le 30 juin 1944.
- Dorléans Lionel, né le 30 novembre 1924,
- Hervy Paul, né le 8 février 1926 à Malestroit.
- Salomon René - Guy , né le 7 décembre 1921 à Paris. Son père, grand mutilé de la guerre 1914.1918, était un des responsables nationaux du mouvement "Vengeance", plus particulièrement chargé du recrutement et René Salomon, sous le pseudonyme de « Corentin », était agent de liaison, notamment avec La Bretagne.
Le réseau s'occupait aussi bien de renseignement, d'évacuation des pilotes alliés que d'opérations, notamment des parachutages.
À partir de janvier 1944, à la suite d'une infiltration du réseau par des agents de la Gestapo, la répression s’abattait sur les différents groupes de Vengeance. Le 6 février 1944, l’arrestation, à Quimper, du chef de région, Guy Faucheux alias Max et des frères Henri et Pierre Le Guennec alias Marc et Gildas décapitait le réseau. Après l’attaque, le 10 février 1944, par des Géorgiens encadrés par des officiers allemands, du maquis de Poulmain, la traque aux résistants se généralisait. Ainsi, la découverte sur un chantier à Caudan d’un dépôt d’armes constitué par un groupe de résistants employés à l’« Entreprise industrielle » sise à Ploërmel provoquait une série d’arrestations.
Le samedi 19 février 1944, Lionel Dorléans, René Salomon et Paul Hervy, étaient appréhendés à la gare de Ploërmel, à leur descente de l’autocar. Paul Hervy, relâché une première fois, était de nouveau arrêté le 29 février avec le dessinateur Robert Turpin qui commandait le groupe de Caudan. Robert Turpin était à son tour relâché le 3 mars puis arrêté une seconde fois le 7 mars et condamné à la déportation d’où il ne reviendrait pas.
Le 22 février 1944, Louis Chérel et Henri Calindre, au retour d’une mission à Rennes, étaient victimes d’un accident au cours duquel ils étaient blessés tous les deux grièvement. Vraisemblablement dénoncés, ils étaient arrêtés le 3 mars à l’hôpital, et transportés à la prison de Vannes, malgré les protestations du médecin traitant.
Manifestement, les allemands obtenaient d’autres informations, puisque dès le 9 mars 1944, ils se rendaient au village de Guinard en Campénéac où se trouvait un dépôt d’armes dans la ferme des époux Méance. Or, au même moment, Joseph Guillo et René Chantrel, dans le jardin duquel des armes avaient été cachées, à La Moriçaie en Ploërmel parvenaient en Campénéac, espérant pouvoir y entreposer les armes qu’ils transportaient dans une charrette conduite par le jeune Paul Éon. Il étaient surpris et arrêtés par des allemands qui perquisitionnaient la ferme.)
Les Ploermelais se trouvaient dans une mauvaise situation. Ils avaient réceptionné au cours de l'année 43 une douzaine de parachutages. Un capitaine du BCRA, Guimar originaire de Ploërmel, ami de Cherel et Calindre, était l'instigateur de ces opérations. Le stock d'armes, munitions et explosifs s'élevait au chiffre fabuleux d'une trentaine de tonnes.
(Note d'après Wikipedia: le Bureau central de renseignements et d'action (BCRA) était pendant la Seconde Guerre mondiale, le service de renseignement et d'actions clandestines de la France libre. Créé en juillet 1940 par le général de Gaulle, désigné sous différentes appellations au fil des années, il sera fusionné en 1943 au sein de la direction générale des services spéciaux (DGSS).)
J'ai oublié de mentionner que Cherel se déplaçait difficilement: le SD, au cours d'un interrogatoire, lui avait fracturé une jambe. Une indiscrétion ou dénonciation avit provoqué les arrestations. les têtes pensantes Calindre et Cherel, malgré leur courage lors des confrontations, n'avaient pu nier l'évidence. le duo Thomas et Lantil, cernés par la Feldgendarmerie en pleine nature, avaient eu la présence d'esprit d'enterrer leurs armes. Aucun aveu n'avait été extorqué.
Le 29 ou 30 avril, nous fûmes transférés Calindre, Salomon et moi de bon matin dans une grande cellule où vinrent nous rejoindre quatorze autres détenus. Notre groupe de dix-sept prit place dans un autocar de la Wehrmacht sous gardiennage de quatre ou cinq soldats placés à l'avant mitraillette pointée.
Nous empruntâmes la route d'Auray où nous bifurquâmes vers Quiberon. Notre destination était le Fort de Penthièvre. je fus pris d'un mauvais pressentiment en voyant la forteresse: c'était l'endroit idéal pour procéder à des exécutions.
Nous étions les premiers occupants. Une grande salle (20m sur 10) nous fut affectée: une porte, quatre ouvertures sans vitres mais avec barreaux tenaient lieu de fenêtre. Une seule botte de paille en guise de literie nous fut attribuée.
Nous fîmes connaissance: nous étions 17, dont 14 originaires de Ploërmel. Je me souviens de certains: Calindre, Cherel, Turpin, Alain, Salomon, Guillo, Hervy, Dorléans, impliqués dans la même affaire et âgés de 16 à 35 ans. Les deux autres, Thomas de Camors et Lantil de Quiberon, avaient été arrêtés en février 44. Je fraternisais d'emblée avec Cherel et Thomas.
(Notes tirées du site "Résistances-Morbihan" dont les sources sont: Le Morbihan en Guerre (édition de 1978) de Roger Leroux et Le Livre mémorial de la Déportation, Tomes II et III.
La plupart des noms cités par mon grand-père appartiennent au mouvement "Vengeance", auquel lui-même a adhéré jusqu'au début 1944.
Quelques renseignements nominatifs, même si le récit reviendra sur ces personnages:
-Cherel Louis A.C2 alias Petit Louis P.1. Engagé le 1er janvier 1943 en qualité d’homme d’opérations de la section A.C, a ensuite travaillé avec L’A.S F.F.I, arrêté le 3 mars 1944, fusillé le 30 juin 1944.
- Calindre Henri A.C6 alias Mistringue P.1. Engagé le 1er janvier 1943 pour fourniture de faux papiers et opérations, a ensuite travaillé avec L’A.S, arrêté le 3 mars 1944, fusillé le 30 juin 1944.
- Dorléans Lionel, né le 30 novembre 1924,
- Hervy Paul, né le 8 février 1926 à Malestroit.
- Salomon René - Guy , né le 7 décembre 1921 à Paris. Son père, grand mutilé de la guerre 1914.1918, était un des responsables nationaux du mouvement "Vengeance", plus particulièrement chargé du recrutement et René Salomon, sous le pseudonyme de « Corentin », était agent de liaison, notamment avec La Bretagne.
Le réseau s'occupait aussi bien de renseignement, d'évacuation des pilotes alliés que d'opérations, notamment des parachutages.
À partir de janvier 1944, à la suite d'une infiltration du réseau par des agents de la Gestapo, la répression s’abattait sur les différents groupes de Vengeance. Le 6 février 1944, l’arrestation, à Quimper, du chef de région, Guy Faucheux alias Max et des frères Henri et Pierre Le Guennec alias Marc et Gildas décapitait le réseau. Après l’attaque, le 10 février 1944, par des Géorgiens encadrés par des officiers allemands, du maquis de Poulmain, la traque aux résistants se généralisait. Ainsi, la découverte sur un chantier à Caudan d’un dépôt d’armes constitué par un groupe de résistants employés à l’« Entreprise industrielle » sise à Ploërmel provoquait une série d’arrestations.
Le samedi 19 février 1944, Lionel Dorléans, René Salomon et Paul Hervy, étaient appréhendés à la gare de Ploërmel, à leur descente de l’autocar. Paul Hervy, relâché une première fois, était de nouveau arrêté le 29 février avec le dessinateur Robert Turpin qui commandait le groupe de Caudan. Robert Turpin était à son tour relâché le 3 mars puis arrêté une seconde fois le 7 mars et condamné à la déportation d’où il ne reviendrait pas.
Le 22 février 1944, Louis Chérel et Henri Calindre, au retour d’une mission à Rennes, étaient victimes d’un accident au cours duquel ils étaient blessés tous les deux grièvement. Vraisemblablement dénoncés, ils étaient arrêtés le 3 mars à l’hôpital, et transportés à la prison de Vannes, malgré les protestations du médecin traitant.
Manifestement, les allemands obtenaient d’autres informations, puisque dès le 9 mars 1944, ils se rendaient au village de Guinard en Campénéac où se trouvait un dépôt d’armes dans la ferme des époux Méance. Or, au même moment, Joseph Guillo et René Chantrel, dans le jardin duquel des armes avaient été cachées, à La Moriçaie en Ploërmel parvenaient en Campénéac, espérant pouvoir y entreposer les armes qu’ils transportaient dans une charrette conduite par le jeune Paul Éon. Il étaient surpris et arrêtés par des allemands qui perquisitionnaient la ferme.)
Les Ploermelais se trouvaient dans une mauvaise situation. Ils avaient réceptionné au cours de l'année 43 une douzaine de parachutages. Un capitaine du BCRA, Guimar originaire de Ploërmel, ami de Cherel et Calindre, était l'instigateur de ces opérations. Le stock d'armes, munitions et explosifs s'élevait au chiffre fabuleux d'une trentaine de tonnes.
(Note d'après Wikipedia: le Bureau central de renseignements et d'action (BCRA) était pendant la Seconde Guerre mondiale, le service de renseignement et d'actions clandestines de la France libre. Créé en juillet 1940 par le général de Gaulle, désigné sous différentes appellations au fil des années, il sera fusionné en 1943 au sein de la direction générale des services spéciaux (DGSS).)
J'ai oublié de mentionner que Cherel se déplaçait difficilement: le SD, au cours d'un interrogatoire, lui avait fracturé une jambe. Une indiscrétion ou dénonciation avit provoqué les arrestations. les têtes pensantes Calindre et Cherel, malgré leur courage lors des confrontations, n'avaient pu nier l'évidence. le duo Thomas et Lantil, cernés par la Feldgendarmerie en pleine nature, avaient eu la présence d'esprit d'enterrer leurs armes. Aucun aveu n'avait été extorqué.
Re: Il y a 74 ans
Merci Loup! Very Happy
Voici la suite:
Une partie de nos gardes était constituée de Russes blancs. L'intendance laissait à désirer: pas de couverture, le froid sévissait, le vent de mer balayait la salle. Le régime alimentaire consistait en une orge cuite servie dans une sorte de lessiveuse et une boule de pain. Chacun se servait à sa satiété; les deux jours suivants aucune distribution. Le troisième jour, le festin reprenait. Paradoxalement, l'eau n'étant pas, paraît-il, potable, un ersatz de thé nous était distribué journellement deux fois. Matin et soir, nous sortions en groupe et par le chemin de ronde accédions aux latrines, une mitrailleuse dissuadait toute rébellion ou tentative d'évasion.
Inconscients, Dorléans (18 ans) et Hervy (16 ans) fredonnaient des rengaines à la mode. J'avais l'impression qu'ils n'avaient pas, eux et certains autres, opposé grande résistance au SD. Une obsession nous poursuivait: quel sort nous était réservé?
Mon dos me faisait souffrir, la cicatrisation était lente.
Bientôt, de nouveaux pensionnaires vinrent presque journellement grossir nos rangs. Le Fort devenait l'établissement chargé de recevoir le trop-plein des succursales de Locminé, Le Faouët, Guémené, Rohan, etc. et de Vannes-Nazareth. Vers la mi-mai, nous étions une soixantaine.
Les personnalités se dégageaient. Je me souviens de certaines mêlées à certaines autres qui ne devaient leur séjour qu'au fait d'avoir été suspectées, raflées, porteuses de faux-papiers, réfractaires, dénoncées, etc. que je classais, à tort peut-être, dans la catégorie du menu-fretin. Un jour, nous vîmes apparaître les éléments d'une noce en costume d'apparat, éberlués, cocasserie si le lieu et les circonstances avaient prêté à rire.
Une autre fois se présente un groupe parmi lesquels je reconnais deux ou trois des composants originaires de Caurel et de St-Gelven. Leur histoire? L'un d'eux, triste sire, chiffonnier, marchand de peaux de lapin, s'étant un jour restauré à St-Aignan, refusa de régler l'addition, arguant qu'il était résistant. Le restaurateur, peu coopératif, fit appel à une patrouille de Feldgendarmes de Pontivy qui malencontreusement passait et qui se saisit de notre hâbleur. La suite? Les Feldgendarmes, obtus, ne purent au cours de l'interrogatoire déceler la bêtise et l'ignorance de notre idiot, lequel pour abréger ses souffrances donna les noms de soi-disant résistants qui furent arrêtés. Je me souviens aussi d'un interné arabe, mahométan convaincu. Le Ramadan le vit planté du lever au coucher du soleil devant l'ouverture qu'il situait en direction de la Mecque. Ses mélopées devinrent exaspérantes. Un autre souvenir: le sacristain de Quistinec, flagellé à mort , le dos et les fesses en putréfaction.
Beaucoup conservaient de leurs interrogatoires des traces vivaces, tel Perrin dont une cuisse présentait cinquante deux piqures de baïonnette. Il gitait à mes côtés. Il ne dut la vie sauve qu'à sa force mentale et physique. Les succursales de Locminé, Le Faouët, etc... n'étaient pas des sanatoriums; chacune avait ses propres méthodes de torture plus ou moins sophistiquées, mais toujours percutantes.
Avec l'apport des nouveaux arrivages, l'ambiance première se détériora; l'inquiétude et surtout la faim provoquaient des heurts, des disputes, des vêtements changèrent de propriétaire. Souvent, il s'agissait d'un troc (pain contre pull ou blouson), mais des portions de pain disparurent. La bestialité qui sommeille en nous apparut, l’égoïsme aussi. La nécessité du rétablissement d'un certain ordre, d'une certaine discipline s'avéra indispensable. Un comité sous l'égide de Calindre et Turpin, étayé par quelques costauds décidés, se constitua; des horions furent distribués, un calme relatif revint.
A suivre.
Voici la suite:
Une partie de nos gardes était constituée de Russes blancs. L'intendance laissait à désirer: pas de couverture, le froid sévissait, le vent de mer balayait la salle. Le régime alimentaire consistait en une orge cuite servie dans une sorte de lessiveuse et une boule de pain. Chacun se servait à sa satiété; les deux jours suivants aucune distribution. Le troisième jour, le festin reprenait. Paradoxalement, l'eau n'étant pas, paraît-il, potable, un ersatz de thé nous était distribué journellement deux fois. Matin et soir, nous sortions en groupe et par le chemin de ronde accédions aux latrines, une mitrailleuse dissuadait toute rébellion ou tentative d'évasion.
Inconscients, Dorléans (18 ans) et Hervy (16 ans) fredonnaient des rengaines à la mode. J'avais l'impression qu'ils n'avaient pas, eux et certains autres, opposé grande résistance au SD. Une obsession nous poursuivait: quel sort nous était réservé?
Mon dos me faisait souffrir, la cicatrisation était lente.
Bientôt, de nouveaux pensionnaires vinrent presque journellement grossir nos rangs. Le Fort devenait l'établissement chargé de recevoir le trop-plein des succursales de Locminé, Le Faouët, Guémené, Rohan, etc. et de Vannes-Nazareth. Vers la mi-mai, nous étions une soixantaine.
Les personnalités se dégageaient. Je me souviens de certaines mêlées à certaines autres qui ne devaient leur séjour qu'au fait d'avoir été suspectées, raflées, porteuses de faux-papiers, réfractaires, dénoncées, etc. que je classais, à tort peut-être, dans la catégorie du menu-fretin. Un jour, nous vîmes apparaître les éléments d'une noce en costume d'apparat, éberlués, cocasserie si le lieu et les circonstances avaient prêté à rire.
Une autre fois se présente un groupe parmi lesquels je reconnais deux ou trois des composants originaires de Caurel et de St-Gelven. Leur histoire? L'un d'eux, triste sire, chiffonnier, marchand de peaux de lapin, s'étant un jour restauré à St-Aignan, refusa de régler l'addition, arguant qu'il était résistant. Le restaurateur, peu coopératif, fit appel à une patrouille de Feldgendarmes de Pontivy qui malencontreusement passait et qui se saisit de notre hâbleur. La suite? Les Feldgendarmes, obtus, ne purent au cours de l'interrogatoire déceler la bêtise et l'ignorance de notre idiot, lequel pour abréger ses souffrances donna les noms de soi-disant résistants qui furent arrêtés. Je me souviens aussi d'un interné arabe, mahométan convaincu. Le Ramadan le vit planté du lever au coucher du soleil devant l'ouverture qu'il situait en direction de la Mecque. Ses mélopées devinrent exaspérantes. Un autre souvenir: le sacristain de Quistinec, flagellé à mort , le dos et les fesses en putréfaction.
Beaucoup conservaient de leurs interrogatoires des traces vivaces, tel Perrin dont une cuisse présentait cinquante deux piqures de baïonnette. Il gitait à mes côtés. Il ne dut la vie sauve qu'à sa force mentale et physique. Les succursales de Locminé, Le Faouët, etc... n'étaient pas des sanatoriums; chacune avait ses propres méthodes de torture plus ou moins sophistiquées, mais toujours percutantes.
Avec l'apport des nouveaux arrivages, l'ambiance première se détériora; l'inquiétude et surtout la faim provoquaient des heurts, des disputes, des vêtements changèrent de propriétaire. Souvent, il s'agissait d'un troc (pain contre pull ou blouson), mais des portions de pain disparurent. La bestialité qui sommeille en nous apparut, l’égoïsme aussi. La nécessité du rétablissement d'un certain ordre, d'une certaine discipline s'avéra indispensable. Un comité sous l'égide de Calindre et Turpin, étayé par quelques costauds décidés, se constitua; des horions furent distribués, un calme relatif revint.
A suivre.
Re: Il y a 74 ans
Une fois encore, merci.
Jean46- Messages : 2079
Date d'inscription : 29/06/2016
Age : 65
Localisation : Escamps
Re: Il y a 74 ans
Toujours aussi poignant à lire... Merci
rodp17- Messages : 3638
Date d'inscription : 21/05/2016
Localisation : FR
Re: Il y a 74 ans
Très intéressant. Merci pour le partage
Siaba- Messages : 553
Date d'inscription : 20/06/2016
Age : 54
Localisation : Albi (81)
Re: Il y a 74 ans
La suite:
J'évoque une tentative avortée d'évasion. Elle était conçue par Pierrot Lantil, un de mes amis. Journellement, matin et soir, nous nous rendions aux latrines placées à l'extrémité ouest du chemin de ronde en groupe, rentrions, et nous nous mettions sur deux files distantes d'1,50m. Un soldat, rarement le même, seul dans la salle, entreprenait de nous compter à haute voix en défilant devant chaque détenu, puis effectuait la même opération pour l'autre file.
Je proposai de coopérer. Il me suffisait de me placer en 2e ou 3e position d'une file, et lorsque l'Allemand m'aurait compté et tourné le dos, de me placer rapidement sur l'autre file. Le compte serait fatalement bon. Le jour prévu, Lantil ne rentra pas. Il se camoufla dans l'ancien four à pain où il devait attendre la nuit et gagner un îlot distant de 3 à 400 mètres à la nage, puis la route par la plage minée.
Malheureusement, ce jour-là, l'Allemand était attendu par deux de ses compatriotes plantés face aux deux files. Je ne pouvais plus bouger et le compte, évidemment, après quatre ou cinq opérations, demeurait toujours mauvais. L'alerte se déclencha. Pierrot fut débusqué, quelque peu tabassé et ramené dans notre geôle. Un Fritz sortit un pistolet; je craignis le pire, mais il se contenta d'asséner sur la nuque de Lantil un coup de crosse qui l'assomma. Les représailles se limitèrent là, tout au moins durant son séjour à Penthièvre.
Ce fut durant mon séjour au fort, et à ma connaissance, le seul acte de brutalité enregistré de la part des Allemands. Les Russes n'étaient jamais en contact avec nous.
Notre présence fut connue, en particulier des Quiberonnais. Des bateaux qui s'étaient trop rapprochés furent accueillis par des coups de fusil (semonce sans doute). Plusieurs personnes dont mon père assisté de Prigent, chef de gare à Landévant, se présentèrent à l'entrée du Fort. Je l'apprendrai à la Libération. Elles furent systématiquement refoulées sans obtenir de renseignements. Cependant, par l’entremise de la Croix quiberonnaise dont le président était M. Stéphan, un colis individuel nous fut distribué. Il contenait des victuailles, mais le miracle ne se renouvela pas.
Je m'efforçais de prolonger la durée de ma ration de pain durant 36 heures. Certains restaient couchés, mais la froidure que dégageaient les dalles de pierre rendait vite cette position inconfortable.
Une chose aussi préoccupait la majeure partie d'entre nous: le SD, la Feldgendarmerie ne s'étaient pas manifestés. Quel allait être notre sort? Etions-nous destinés à servir d'otages? Plusieurs nantis d'un passif opinaient dans mon sens. Si cela devait être, le décor était planté. Mais l'insouciance de certains était désarmante: seule la bouffe leur importait.
Le 22 ou 23 mai, la situation se décanta. Le tribunal militaire siégea dans une salle du premier étage. Les premiers à comparaître furent Perrin et les deux frères Caillaux impliqués dans la même affaire. sentence: la mort pour les deux frères, l'acquittement pour Perrin qui reprit sa place près de moi et persévéra dans son mutisme. L'aîné des Caillaux réclama un rasoir et morigéna son frère qui refusait de s'en servir. "Allons, lui dit-il, il faut se faire beau pour mourir!". Le soir-même, on les transféra dans une salle attenante que je supposais vide.
Le lendemain, vers 7h30, un bruit inusité nous alerta. Pas cadencés, paroles allemandes, puis françaises. L'adieu de ceux qui allaient mourir. J'avais toujours ma montre. A 8h10, une salve toute proche se répercuta. A 8h20, elle se répéta.
Une morne consternation régna la matinée durant. Certains, optimistes jusque là, réalisèrent l'inconfort de leur situation.
D'autres exécutions eurent lieu. Le processus se répéta, l'intervalle de 10mion entre les salves respecté.
Les corps des premiers suppliciés n'avaient pas été découverts à la date du 13 juillet 1993.
Je peux toutefois certifier que, durant mon incarcération à Penthièvre, en ma présence ou à ma connaissance, aucun détenu n'a subi de sévices corporels. Je pense que les condamnés furent fusillés individuellement selon la méthode traditionnelle.
A suivre.
J'évoque une tentative avortée d'évasion. Elle était conçue par Pierrot Lantil, un de mes amis. Journellement, matin et soir, nous nous rendions aux latrines placées à l'extrémité ouest du chemin de ronde en groupe, rentrions, et nous nous mettions sur deux files distantes d'1,50m. Un soldat, rarement le même, seul dans la salle, entreprenait de nous compter à haute voix en défilant devant chaque détenu, puis effectuait la même opération pour l'autre file.
Je proposai de coopérer. Il me suffisait de me placer en 2e ou 3e position d'une file, et lorsque l'Allemand m'aurait compté et tourné le dos, de me placer rapidement sur l'autre file. Le compte serait fatalement bon. Le jour prévu, Lantil ne rentra pas. Il se camoufla dans l'ancien four à pain où il devait attendre la nuit et gagner un îlot distant de 3 à 400 mètres à la nage, puis la route par la plage minée.
Malheureusement, ce jour-là, l'Allemand était attendu par deux de ses compatriotes plantés face aux deux files. Je ne pouvais plus bouger et le compte, évidemment, après quatre ou cinq opérations, demeurait toujours mauvais. L'alerte se déclencha. Pierrot fut débusqué, quelque peu tabassé et ramené dans notre geôle. Un Fritz sortit un pistolet; je craignis le pire, mais il se contenta d'asséner sur la nuque de Lantil un coup de crosse qui l'assomma. Les représailles se limitèrent là, tout au moins durant son séjour à Penthièvre.
Ce fut durant mon séjour au fort, et à ma connaissance, le seul acte de brutalité enregistré de la part des Allemands. Les Russes n'étaient jamais en contact avec nous.
Notre présence fut connue, en particulier des Quiberonnais. Des bateaux qui s'étaient trop rapprochés furent accueillis par des coups de fusil (semonce sans doute). Plusieurs personnes dont mon père assisté de Prigent, chef de gare à Landévant, se présentèrent à l'entrée du Fort. Je l'apprendrai à la Libération. Elles furent systématiquement refoulées sans obtenir de renseignements. Cependant, par l’entremise de la Croix quiberonnaise dont le président était M. Stéphan, un colis individuel nous fut distribué. Il contenait des victuailles, mais le miracle ne se renouvela pas.
Je m'efforçais de prolonger la durée de ma ration de pain durant 36 heures. Certains restaient couchés, mais la froidure que dégageaient les dalles de pierre rendait vite cette position inconfortable.
Une chose aussi préoccupait la majeure partie d'entre nous: le SD, la Feldgendarmerie ne s'étaient pas manifestés. Quel allait être notre sort? Etions-nous destinés à servir d'otages? Plusieurs nantis d'un passif opinaient dans mon sens. Si cela devait être, le décor était planté. Mais l'insouciance de certains était désarmante: seule la bouffe leur importait.
Le 22 ou 23 mai, la situation se décanta. Le tribunal militaire siégea dans une salle du premier étage. Les premiers à comparaître furent Perrin et les deux frères Caillaux impliqués dans la même affaire. sentence: la mort pour les deux frères, l'acquittement pour Perrin qui reprit sa place près de moi et persévéra dans son mutisme. L'aîné des Caillaux réclama un rasoir et morigéna son frère qui refusait de s'en servir. "Allons, lui dit-il, il faut se faire beau pour mourir!". Le soir-même, on les transféra dans une salle attenante que je supposais vide.
Le lendemain, vers 7h30, un bruit inusité nous alerta. Pas cadencés, paroles allemandes, puis françaises. L'adieu de ceux qui allaient mourir. J'avais toujours ma montre. A 8h10, une salve toute proche se répercuta. A 8h20, elle se répéta.
Une morne consternation régna la matinée durant. Certains, optimistes jusque là, réalisèrent l'inconfort de leur situation.
D'autres exécutions eurent lieu. Le processus se répéta, l'intervalle de 10mion entre les salves respecté.
Les corps des premiers suppliciés n'avaient pas été découverts à la date du 13 juillet 1993.
Je peux toutefois certifier que, durant mon incarcération à Penthièvre, en ma présence ou à ma connaissance, aucun détenu n'a subi de sévices corporels. Je pense que les condamnés furent fusillés individuellement selon la méthode traditionnelle.
A suivre.
Re: Il y a 74 ans
Encore une fois merci de partager ces événements tragiques.
Jean46- Messages : 2079
Date d'inscription : 29/06/2016
Age : 65
Localisation : Escamps
Re: Il y a 74 ans
Merci Jean.
En transcrivant l'épisode relatif à l'évasion avortée, j'avais sous les yeux des images des prisonniers de la "La grande évasion" faisant exprès de bouger pendant le comptage. Les récits d'évadés de camps de prisonniers mélangent aussi humour et tragique.
Mon grand-père avait gardé l'impression que ses gardiens allemands n'étaient pas très futés. Mais ce jour-là, ils n'ont pas eu de chance.
En transcrivant l'épisode relatif à l'évasion avortée, j'avais sous les yeux des images des prisonniers de la "La grande évasion" faisant exprès de bouger pendant le comptage. Les récits d'évadés de camps de prisonniers mélangent aussi humour et tragique.
Mon grand-père avait gardé l'impression que ses gardiens allemands n'étaient pas très futés. Mais ce jour-là, ils n'ont pas eu de chance.
Re: Il y a 74 ans
J'y avais pensé aussi. Comme quoi "l'aléatoire" est tout aussi présent mais plus tragique lorsque ce n'est pas un jeu.
Jean46- Messages : 2079
Date d'inscription : 29/06/2016
Age : 65
Localisation : Escamps
Re: Il y a 74 ans
Merci, merci, merci ... Mon père quand il était ouvrier forcé près de Cologne, eux mettaient un feuille de cigarette dans le contacteur du pont roulant du milieu pour bloquer l'usine ...
Invité- Invité
naash- Messages : 3233
Date d'inscription : 01/06/2016
Re: Il y a 74 ans
C'est poignant. Merci beaucoup pour ce récit. D'après ce que je sais mon grand père à vite été réformé. Habitant en Moselle à 2km de la frontière franco allemande, il a fuit avec sa famille en Charente-Maritime (comme beaucoup de cette région) Beaucoup qui n'auraient pas fuit en Charentes ou en Bourgogne seraient devenus des malgré-nous. Pas du tout la même histoire
Somua- Messages : 893
Date d'inscription : 09/02/2017
Age : 40
Localisation : Suisse
Re: Il y a 74 ans
Désolé pour le retard.
Voici la suite:
Thomas et Lantil comparurent conjointement. Je ne me rappelle plus si leur comparution fut antérieure ou postérieure à la mienne. Je fus appelé. A une grande table siégeaient des officiers de la Wehrmacht; je ne puis en préciser le nombre, mes souvenirs sont assez flous concernant cette journée. Un sous-officier faisait office d'avocat et d'interprète le cas échéant. Celui que je supposais être le président énuméra les griefs de l'accusation. Je les réfutais pratiquement tous. Mention était portée en marge des différents feuillets constituant le dossier. J'étais dérouté par la procédure employée. C'était vraiment trop simple: au terme de la lecture, il n devait subsister que peu d'éléments en ma défaveur. Imperturbable, blasé, sans colère, le président me demanda de justifier mes dénégations. J'arguais que je ne pouvais avoir reconnu des faits qui m'étaient étrangers. Je fis aussi état des tortures que j'avais endurées. Le président et ses assesseurs délibérèrent en allemand à diverses reprises. Après un dernier conciliabule, il me demanda mon âge: "23 ans", lui répondis-je. "Vous êtes bien jeune pour mourir", me dit-il.
Cette phrase est demeurée gravée à jamais dans ma mémoire. Je n'eus pas la présence d'esprit d'interroger l'avocat. Je repris place dans la salle. Mes amis m'accablèrent de questions, puis me réconfortèrent. Aucune sentence officielle n'avait été prononcée; les dernières paroles du président ne devaient pas être une condamnation.
Les jours et surtout les nuits qui suivirent furent éprouvantes et, avec l'aube, l'anxiété me gagnait. Je ressassais cette phrase. Que cachait-elle? Je me remémorais les phases du procès. je ne m'explique pas encore aujourd'hui la facilité avec laquelle les principaux griefs dont m'avait gratifiés le SD était mis à caution par le tribunal militaire.
Les Ploermelais ne comparurent pas. Perrin avait té transféré vers un lieu inconnu. Son séjour à Penthièvre n'excéda pas deux semaines. Aucune sentence ne fut prononcée à l'encontre de Lantil et Thomas.
A suivre.
Voici la suite:
Thomas et Lantil comparurent conjointement. Je ne me rappelle plus si leur comparution fut antérieure ou postérieure à la mienne. Je fus appelé. A une grande table siégeaient des officiers de la Wehrmacht; je ne puis en préciser le nombre, mes souvenirs sont assez flous concernant cette journée. Un sous-officier faisait office d'avocat et d'interprète le cas échéant. Celui que je supposais être le président énuméra les griefs de l'accusation. Je les réfutais pratiquement tous. Mention était portée en marge des différents feuillets constituant le dossier. J'étais dérouté par la procédure employée. C'était vraiment trop simple: au terme de la lecture, il n devait subsister que peu d'éléments en ma défaveur. Imperturbable, blasé, sans colère, le président me demanda de justifier mes dénégations. J'arguais que je ne pouvais avoir reconnu des faits qui m'étaient étrangers. Je fis aussi état des tortures que j'avais endurées. Le président et ses assesseurs délibérèrent en allemand à diverses reprises. Après un dernier conciliabule, il me demanda mon âge: "23 ans", lui répondis-je. "Vous êtes bien jeune pour mourir", me dit-il.
Cette phrase est demeurée gravée à jamais dans ma mémoire. Je n'eus pas la présence d'esprit d'interroger l'avocat. Je repris place dans la salle. Mes amis m'accablèrent de questions, puis me réconfortèrent. Aucune sentence officielle n'avait été prononcée; les dernières paroles du président ne devaient pas être une condamnation.
Les jours et surtout les nuits qui suivirent furent éprouvantes et, avec l'aube, l'anxiété me gagnait. Je ressassais cette phrase. Que cachait-elle? Je me remémorais les phases du procès. je ne m'explique pas encore aujourd'hui la facilité avec laquelle les principaux griefs dont m'avait gratifiés le SD était mis à caution par le tribunal militaire.
Les Ploermelais ne comparurent pas. Perrin avait té transféré vers un lieu inconnu. Son séjour à Penthièvre n'excéda pas deux semaines. Aucune sentence ne fut prononcée à l'encontre de Lantil et Thomas.
A suivre.
Re: Il y a 74 ans
Merci pour cette nouvelle suite. On peut facilement imaginer l'angoisse...
Jean46- Messages : 2079
Date d'inscription : 29/06/2016
Age : 65
Localisation : Escamps
naash- Messages : 3233
Date d'inscription : 01/06/2016
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