Il y a 74 ans
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Il y a 74 ans
Mon grand-père, François Michel, est né en 1920 à Carnoet (un minuscule village du centre-Bretagne, à la limite du Finistère et des Côtes-du-Nord comme on appelait alors les Côtes d'Armor). Son père était ancien combattant de la 1ère Guerre et était menuisier sur le réseau breton (une compagnie ferroviaire exploitant des lignes secondaires) puis à la SNCF (après 1938). Après avoir passé le certificat d'études primaires, son père lui a donné comme choix: c'était soit entrer dans la marine, soit dans le réseau breton. Il n'y avait pas beaucoup de débouchés pour les jeunes Bretons.
J'ignore comment mon grand-père et sa famille ont vécu le début de la Guerre. Je sais juste qu'il état séduit par les idées communistes et qu'il est entré dans le réseau Vengeance en décembre 1941. C'était un réseau essentiellement chargé de missions de renseignement, sabotages, mais aussi évasion de pilotes alliés (cf. mon autre post sur l'histoire d'un dollar porte-bonheur). A cette époque, d'après les papiers de la SNCF, mon grand-père avait été envoyé en poste dans le Sud-Finistère: Audierne, Pont-Croix, Pont-l'Abbé. La section finistérienne du réseau Vengeance a été ensuite démantelée en juin 1943. François a ensuite rejoint le réseau Libération Nord de juin 1943 à janvier 1944. D'après ce qu'il m'a écrit, il l'a ensuite quitté pour des raisons personnelles. Il rejoint finalement les Francs-tireurs et partisans de janvier à août 1944.
C'est dans ce cadre que lui arrive l'histoire qu'il m'a ensuite écrite sur un cahier d'écolier et que je vous reproduis ici.
ARRESTATION
La scène se déroule dans un café à Gourin le 29 mars 1944 vers 16h00.
Je devais rencontrer un émissaire. Le mot de passe avait été échangé. La présence inusitée d'un second personnages m'avait intrigué. Quelques paroles prononcées en breton n'avaient pas contribué à dissiper mon inquiétude.
(Note: mon grand-père était bretonnant comme toute sa famille, même s'il écrivait et parlait très bien français. Le breton était utilisé pour déjouer la présence d'espions francophones. D'après son dossier établissant son appartenance à la Résistance, ce fameux 29 mars, il était chargé d'une mission de liaison pour le compte du Maquis du bois de Conveau, dans les montagnes noires).
Je n'étais pas armé, seulement couvert à distance par un camarade porteur d'un pistolet. Enfreinte était la règle régissant les rencontres de cette nature. Bref, je devais rencontrer un seul interlocuteur chargé de consignes orales concernant de futures opérations et qui devait recueillir en contrepartie un compte-rendu succinct de nos opérations et activités antérieures. Leurs questions déroutantes accentuaient ma méfiance; des lacunes foisonnaient. Ils semblaient mal dans leur peau.
Je répondais évasivement ou feignais l'ignorance, pressé de voir l'entretien se terminer et m'esquiver.
Nous étions en présence depuis environ 15 minutes lorsqu'un camion allemand, circulant lentement emprunta la rue latérale.
Un de mes interlocuteurs se porta rapidement à la porte, l'autre dégaina un revolver et proféra "Haut les mains!". Incrédule, je n’obtempérai pas; l'ordre est à nouveau réitéré accompagné de la mention: "Police allemande!".
Du camion stoppé surgissent 5 ou 6 Feldgendarmes. Fouille, menottes, embarquement: l’évènement aura duré deux à trois minutes. les deux gestapistes français s'étaient éclipsés.
FELDKOMMANDANTUR DE PONTIVY
Le camion circula lentement dans les rues de Gourin sans doute à la recherche du camarade chargé de ma protection; il effectua un bref arrête à la gendarmerie française et emprunta la route de Pontivy. Nous arrivâmes vers 19h à la Kommandantur.
J'étais furieux. je réalisais que mon arrestation n'était pas fortuites mais programmée.
Vers 20h30, en présence seulement de quatre ou cinq colliers de chien, débuta l'interrogatoire.
Je m'aperçus qu'ils ne possédaient que très peu d'éléments, leur contact avec mes deux supposés résistants avait été bref et ceux-ci étaient absents.
Les questions furent disparates, le nerf de boeuf entrait en action, les coups de poing, de pied aussi. une mitraillette est braquée sur moi. Son porteur fait mine d'appuyer sur la gâchette, je hausse les épaules, ce qui a pour effet de les exaspérer.
L'un me saisit à la gorge, l'autre me martèle les orteils (j'avais les mains entravées derrière le dos). Je suffoquais. Il me criait sous le nez: "Moi sale Boche!", enragé qu'il était.
J'accomplis alors un geste irraisonné. Je rabattis le front qui heurta le visage du Fritz. Bousculé, il abandonna son étreinte. Un coup de crosse m'assomma.
Je repris connaissance, la tête lourde, le visage et le dos en feu, les poignets toujours entravés, un pied relié par des menottes à une table. Je passais une nuit éprouvante, dévoré par la soif, gardé par un soldat allemand.
(A suivre).
J'ignore comment mon grand-père et sa famille ont vécu le début de la Guerre. Je sais juste qu'il état séduit par les idées communistes et qu'il est entré dans le réseau Vengeance en décembre 1941. C'était un réseau essentiellement chargé de missions de renseignement, sabotages, mais aussi évasion de pilotes alliés (cf. mon autre post sur l'histoire d'un dollar porte-bonheur). A cette époque, d'après les papiers de la SNCF, mon grand-père avait été envoyé en poste dans le Sud-Finistère: Audierne, Pont-Croix, Pont-l'Abbé. La section finistérienne du réseau Vengeance a été ensuite démantelée en juin 1943. François a ensuite rejoint le réseau Libération Nord de juin 1943 à janvier 1944. D'après ce qu'il m'a écrit, il l'a ensuite quitté pour des raisons personnelles. Il rejoint finalement les Francs-tireurs et partisans de janvier à août 1944.
C'est dans ce cadre que lui arrive l'histoire qu'il m'a ensuite écrite sur un cahier d'écolier et que je vous reproduis ici.
ARRESTATION
La scène se déroule dans un café à Gourin le 29 mars 1944 vers 16h00.
Je devais rencontrer un émissaire. Le mot de passe avait été échangé. La présence inusitée d'un second personnages m'avait intrigué. Quelques paroles prononcées en breton n'avaient pas contribué à dissiper mon inquiétude.
(Note: mon grand-père était bretonnant comme toute sa famille, même s'il écrivait et parlait très bien français. Le breton était utilisé pour déjouer la présence d'espions francophones. D'après son dossier établissant son appartenance à la Résistance, ce fameux 29 mars, il était chargé d'une mission de liaison pour le compte du Maquis du bois de Conveau, dans les montagnes noires).
Je n'étais pas armé, seulement couvert à distance par un camarade porteur d'un pistolet. Enfreinte était la règle régissant les rencontres de cette nature. Bref, je devais rencontrer un seul interlocuteur chargé de consignes orales concernant de futures opérations et qui devait recueillir en contrepartie un compte-rendu succinct de nos opérations et activités antérieures. Leurs questions déroutantes accentuaient ma méfiance; des lacunes foisonnaient. Ils semblaient mal dans leur peau.
Je répondais évasivement ou feignais l'ignorance, pressé de voir l'entretien se terminer et m'esquiver.
Nous étions en présence depuis environ 15 minutes lorsqu'un camion allemand, circulant lentement emprunta la rue latérale.
Un de mes interlocuteurs se porta rapidement à la porte, l'autre dégaina un revolver et proféra "Haut les mains!". Incrédule, je n’obtempérai pas; l'ordre est à nouveau réitéré accompagné de la mention: "Police allemande!".
Du camion stoppé surgissent 5 ou 6 Feldgendarmes. Fouille, menottes, embarquement: l’évènement aura duré deux à trois minutes. les deux gestapistes français s'étaient éclipsés.
FELDKOMMANDANTUR DE PONTIVY
Le camion circula lentement dans les rues de Gourin sans doute à la recherche du camarade chargé de ma protection; il effectua un bref arrête à la gendarmerie française et emprunta la route de Pontivy. Nous arrivâmes vers 19h à la Kommandantur.
J'étais furieux. je réalisais que mon arrestation n'était pas fortuites mais programmée.
Vers 20h30, en présence seulement de quatre ou cinq colliers de chien, débuta l'interrogatoire.
Je m'aperçus qu'ils ne possédaient que très peu d'éléments, leur contact avec mes deux supposés résistants avait été bref et ceux-ci étaient absents.
Les questions furent disparates, le nerf de boeuf entrait en action, les coups de poing, de pied aussi. une mitraillette est braquée sur moi. Son porteur fait mine d'appuyer sur la gâchette, je hausse les épaules, ce qui a pour effet de les exaspérer.
L'un me saisit à la gorge, l'autre me martèle les orteils (j'avais les mains entravées derrière le dos). Je suffoquais. Il me criait sous le nez: "Moi sale Boche!", enragé qu'il était.
J'accomplis alors un geste irraisonné. Je rabattis le front qui heurta le visage du Fritz. Bousculé, il abandonna son étreinte. Un coup de crosse m'assomma.
Je repris connaissance, la tête lourde, le visage et le dos en feu, les poignets toujours entravés, un pied relié par des menottes à une table. Je passais une nuit éprouvante, dévoré par la soif, gardé par un soldat allemand.
(A suivre).
Dernière édition par Celebrimbor le Ven 30 Mar - 9:02, édité 4 fois
Re: Il y a 74 ans
Très émouvant ce témoignage. Merci.
Jean46- Messages : 2079
Date d'inscription : 29/06/2016
Age : 65
Localisation : Escamps
Re: Il y a 74 ans
La suite, la suite !!!
Raph- Messages : 3198
Date d'inscription : 11/10/2017
Age : 46
Localisation : LYON
Re: Il y a 74 ans
PRISON DE VANNES (1er séjour)
Le lendemain, 30 mars 1944, dans la matinée, je fus transféré à la prison Nazareth à Vannes. Après les formalités d'écrou, je me retrouvais dans ma cellule équipée d'un bat-flanc, une couverture, une tinette. Frappé par le silence et le lieu, je réalisais soudain que j'étais prisonnier, et que l'avenir s'avérait menaçant.
Je me remémorais les principaux épisodes des dernières 24h. Je ne m'expliquais pas la possession par les deux miliciens du mot de passe et du lieu de rendez-vous. En fait, ils s'étaient substitués au réel émissaire. Arrêté la veille, celui-ci avait, sous la torture, fait certaines révélations dont je devais être la victime. Ils avaient cependant commis la faute de s'être présentés à deux.
(NOTE: Plusieurs années après la mort de mon grand-père, j'ai profité de l'occasion donnée par mes recherches de doctorat pour passer par les Archives départementales d'Ile-et-Vilaine, où sont conservés les fonds bretons des Chambres civiques et des Cours de Justice qui ont procédé à l'épuration après la guerre. J'ai pu accéder aux sources qui établissent l'identité des 2 collabos qui ont piégé mon grand-père (et d'autres).
Il s'agissait de:
- Joseph-Louis Le R., né en 1923
- Ange P., dit "Carcal", né en 1920.
Tous deux étaient militants avant-guerre du Parti national breton (PNB), parti nationaliste qui voulait, sur le modèle irlandais, profiter du soutien allemand pour démembrer la France. Conçu sur le modèle des partis fascistes (mystique du chef, milice en uniformes noirs appelée Strolladou stourm SS, Triskell à la place des croix gammées...), le PNB s'était secrètement lancé dans des attentats à la fin des années 1930 tout en affichant officiellement des revendications (sur l'enseignement du breton notamment). On sait aujourd'hui que les chefs du PNB étaient stipendiés par l'Allemagne nazie, vers laquelle ils fuirent en 1939 avant de revenir dans les bagages des occupants en juillet 1940. Bien sûr, ils essayèrent de débaucher des prisonniers bretons dans les Stalags (sans grand succès); grâce à la protection allemande, ils entreprirent ensuite en 1940-1942 une agitation nationaliste en Bretagne pour gêner les préfets de Vichy. Les archives allemandes montrent que les autorités nazies furent déçues par le peu d'écho du PNB dans la population, mais ils continuèrent à les soutenir officieusement en leur permettant d'avoir un journal et d'intervenir à la radio, afin de diviser pour mieux régner.
A partir de la fin de 1943, plusieurs de ces ultra-nationalistes s'enfoncèrent un peu plus dans la collaboration en fondant la Milice Perrot (Bezen Perrot, du nom de l'abbé Perrot, un prêtre nationaliste et antirépublicain, qui venait d'être assassiné par la Résistance à Scrignac). La milice Perrot travaillait directement pour le SD et ses principales missions visaient à piéger et à torturer les résistants, en utilisant la connaissance du terrain et de la langue bretonne.
Ange P. était chef de section des "Strolladou Stourm". Il prit la fuite avec les Allemands en août 1944. Un mandat d’arrêt est lancé le 14 novembre 1944 pour intelligence avec l’ennemi, violences et homicide volontaire (meurtre de Julien Guidard, 22 ans, responsable du camp de résistant de Plumélian, torturé à mort à la prison de Locminé le 21 juillet 1944). Mais il reste introuvable en février 1945 lorsque son procès est jugé par contumace.
Le R., lui ausi membre de la Bezen Perrot, est arrêté en septembre 1944. Mon grand-père témoignera à son procès en 1945. Il obtiendra la faveur des gendarmes de pouvoir lui rectifier le nez. Le R. est finalement condamné à mort en octobre 1945)
Les journées s'écoulaient lentement, rythmées par l'apport du café le matin, agrémenté d'une ration de pain et d'une gamelle de soupe à 11h et 17h.
Je ne possédais aucun objet de toilette; mes ablutions s'effectuaient lors de la vidange de la tinette. le matin vers 9h, le bruit de nombreux pas cloutés résonnaient dans le couloir jouxtant ma cellule. J'étais intrigué. Une fenêtre munie de barreaux se situait à 2M de hauteur à l'opposé de la porte. Le lendemain, agrippé aux barreaux, je découvre que l'escalier est emprunté par des soldats allemands (Wehrmacht, marine confondues). J'en déduis qu'il s'agit de détenus: ils ne portent pas de ceinturon.
Le 3e jour, installé à mon poste d'observation, j'assistais au défilé des prisonniers allemands lorsqu'à l'étage inférieur apparaît un gardien qui lève malencontreusement les yeux et m'aperçoit. Il se met à vociférer. Accompagné d'un collègue attiré par ses cris, ils montent, se concertent, et me font vider les lieux. Enfilade d'escaliers, de couloirs, j'aboutis à mon nouveau logis au sous-sol.
C'est un local sans ouverture, exception faite bien entendu de la porte pleine, doté d'un bat-flanc, une tinette, un bouteillon, sans couverture, avec lumière électrique, interrupteur à l'extérieur.
Les murs ruissellent d'humidité. Le régime alimentaire est similaire au précédent.
(A suivre)
Le lendemain, 30 mars 1944, dans la matinée, je fus transféré à la prison Nazareth à Vannes. Après les formalités d'écrou, je me retrouvais dans ma cellule équipée d'un bat-flanc, une couverture, une tinette. Frappé par le silence et le lieu, je réalisais soudain que j'étais prisonnier, et que l'avenir s'avérait menaçant.
Je me remémorais les principaux épisodes des dernières 24h. Je ne m'expliquais pas la possession par les deux miliciens du mot de passe et du lieu de rendez-vous. En fait, ils s'étaient substitués au réel émissaire. Arrêté la veille, celui-ci avait, sous la torture, fait certaines révélations dont je devais être la victime. Ils avaient cependant commis la faute de s'être présentés à deux.
(NOTE: Plusieurs années après la mort de mon grand-père, j'ai profité de l'occasion donnée par mes recherches de doctorat pour passer par les Archives départementales d'Ile-et-Vilaine, où sont conservés les fonds bretons des Chambres civiques et des Cours de Justice qui ont procédé à l'épuration après la guerre. J'ai pu accéder aux sources qui établissent l'identité des 2 collabos qui ont piégé mon grand-père (et d'autres).
Il s'agissait de:
- Joseph-Louis Le R., né en 1923
- Ange P., dit "Carcal", né en 1920.
Tous deux étaient militants avant-guerre du Parti national breton (PNB), parti nationaliste qui voulait, sur le modèle irlandais, profiter du soutien allemand pour démembrer la France. Conçu sur le modèle des partis fascistes (mystique du chef, milice en uniformes noirs appelée Strolladou stourm SS, Triskell à la place des croix gammées...), le PNB s'était secrètement lancé dans des attentats à la fin des années 1930 tout en affichant officiellement des revendications (sur l'enseignement du breton notamment). On sait aujourd'hui que les chefs du PNB étaient stipendiés par l'Allemagne nazie, vers laquelle ils fuirent en 1939 avant de revenir dans les bagages des occupants en juillet 1940. Bien sûr, ils essayèrent de débaucher des prisonniers bretons dans les Stalags (sans grand succès); grâce à la protection allemande, ils entreprirent ensuite en 1940-1942 une agitation nationaliste en Bretagne pour gêner les préfets de Vichy. Les archives allemandes montrent que les autorités nazies furent déçues par le peu d'écho du PNB dans la population, mais ils continuèrent à les soutenir officieusement en leur permettant d'avoir un journal et d'intervenir à la radio, afin de diviser pour mieux régner.
A partir de la fin de 1943, plusieurs de ces ultra-nationalistes s'enfoncèrent un peu plus dans la collaboration en fondant la Milice Perrot (Bezen Perrot, du nom de l'abbé Perrot, un prêtre nationaliste et antirépublicain, qui venait d'être assassiné par la Résistance à Scrignac). La milice Perrot travaillait directement pour le SD et ses principales missions visaient à piéger et à torturer les résistants, en utilisant la connaissance du terrain et de la langue bretonne.
Ange P. était chef de section des "Strolladou Stourm". Il prit la fuite avec les Allemands en août 1944. Un mandat d’arrêt est lancé le 14 novembre 1944 pour intelligence avec l’ennemi, violences et homicide volontaire (meurtre de Julien Guidard, 22 ans, responsable du camp de résistant de Plumélian, torturé à mort à la prison de Locminé le 21 juillet 1944). Mais il reste introuvable en février 1945 lorsque son procès est jugé par contumace.
Le R., lui ausi membre de la Bezen Perrot, est arrêté en septembre 1944. Mon grand-père témoignera à son procès en 1945. Il obtiendra la faveur des gendarmes de pouvoir lui rectifier le nez. Le R. est finalement condamné à mort en octobre 1945)
Les journées s'écoulaient lentement, rythmées par l'apport du café le matin, agrémenté d'une ration de pain et d'une gamelle de soupe à 11h et 17h.
Je ne possédais aucun objet de toilette; mes ablutions s'effectuaient lors de la vidange de la tinette. le matin vers 9h, le bruit de nombreux pas cloutés résonnaient dans le couloir jouxtant ma cellule. J'étais intrigué. Une fenêtre munie de barreaux se situait à 2M de hauteur à l'opposé de la porte. Le lendemain, agrippé aux barreaux, je découvre que l'escalier est emprunté par des soldats allemands (Wehrmacht, marine confondues). J'en déduis qu'il s'agit de détenus: ils ne portent pas de ceinturon.
Le 3e jour, installé à mon poste d'observation, j'assistais au défilé des prisonniers allemands lorsqu'à l'étage inférieur apparaît un gardien qui lève malencontreusement les yeux et m'aperçoit. Il se met à vociférer. Accompagné d'un collègue attiré par ses cris, ils montent, se concertent, et me font vider les lieux. Enfilade d'escaliers, de couloirs, j'aboutis à mon nouveau logis au sous-sol.
C'est un local sans ouverture, exception faite bien entendu de la porte pleine, doté d'un bat-flanc, une tinette, un bouteillon, sans couverture, avec lumière électrique, interrupteur à l'extérieur.
Les murs ruissellent d'humidité. Le régime alimentaire est similaire au précédent.
(A suivre)
Re: Il y a 74 ans
Merci à toi pour un de ces bouts de l'Histoire si bien raconté.....
Je me suis permis de poser le parcours de cette histoire sur la Carte du Forum pour que les curieux poussent encore plus loin dans ce récit.
(Si tu ne le souhaites pas, je retirerai le calque.)
Je me suis permis de poser le parcours de cette histoire sur la Carte du Forum pour que les curieux poussent encore plus loin dans ce récit.
(Si tu ne le souhaites pas, je retirerai le calque.)
rodp17- Messages : 3638
Date d'inscription : 21/05/2016
Localisation : FR
Re: Il y a 74 ans
Vraiment très intéressant.
Jean46- Messages : 2079
Date d'inscription : 29/06/2016
Age : 65
Localisation : Escamps
Re: Il y a 74 ans
Merci beaucoup pour ce récit !
_________________
Mon blog : http://jardinsdepierre.blogspot.fr/
naash- Messages : 3233
Date d'inscription : 01/06/2016
Re: Il y a 74 ans
rodp17 a écrit:Merci à toi pour un de ces bouts de l'Histoire si bien raconté.....
Je me suis permis de poser le parcours de cette histoire sur la Carte du Forum pour que les curieux poussent encore plus loin dans ce récit.
(Si tu ne le souhaites pas, je retirerai le calque.)
Merci Rod. Pas de souci. Mais vous allez voir qu'il y a pas mal de péripéties dans le récit, donc encore pas mal de lieux.
Re: Il y a 74 ans
La suite ! la suite !
tu as fait ta thèse de Doctorat sur quel sujet ? perso je me suis arrêté avec une double Maîtrise Histoire + Géographie de Lyon III avant de faire un Master en école de commerce.
tu as fait ta thèse de Doctorat sur quel sujet ? perso je me suis arrêté avec une double Maîtrise Histoire + Géographie de Lyon III avant de faire un Master en école de commerce.
Raph- Messages : 3198
Date d'inscription : 11/10/2017
Age : 46
Localisation : LYON
Re: Il y a 74 ans
@Raph: avec option 'peinture' , certainement.
Purée, il existe des Maîtres en Epicerie ... !!!! ... Sans blague ...
On a des Maîtres, des Docteurs ... Qui s'étonnera maintenant du niveau stratosphérique de notre forum ?
Purée, il existe des Maîtres en Epicerie ... !!!! ... Sans blague ...
On a des Maîtres, des Docteurs ... Qui s'étonnera maintenant du niveau stratosphérique de notre forum ?
Panoramix- Messages : 3188
Date d'inscription : 27/05/2016
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Localisation : Périgord
Re: Il y a 74 ans
Merci pour ce partage. . Après sa condamnation Ange P a t'il finit par être découvert ?
Teteced- Messages : 545
Date d'inscription : 24/05/2016
Age : 49
Localisation : AVESSAC (44) le Week-end et FOUGERES (35) la semaine.
Re: Il y a 74 ans
Je n'en ai pas trouvé la trace dans les archives de son procès par contumace que j'ai consultées. Après, il y a certainement d'autres sources qu'on pourrait investiguer, notamment celles de l'armée (sur les prisonniers faits en Allemagne) et bien sûr les sources allemandes.
Un certain nombre des miliciens de la Bezen Perrot et des nationalistes bretons a réussi à s'enfuir en Irlande, où ils ont rédigé leur hagiographie et anathémisé la France coupable d'un "génocide" (sic) sur les militants de la culture bretonne... Ils utilisaient une foultitude de pseudos, histoire de brouiller les pistes.
Un certain nombre des miliciens de la Bezen Perrot et des nationalistes bretons a réussi à s'enfuir en Irlande, où ils ont rédigé leur hagiographie et anathémisé la France coupable d'un "génocide" (sic) sur les militants de la culture bretonne... Ils utilisaient une foultitude de pseudos, histoire de brouiller les pistes.
Re: Il y a 74 ans
La suite:
Le matin suivant, selon un processus qui ne variera pas, vers 10h30, la porte s'ouvre et sur un signe d'un gardien que je suis, je procède à mes ablutions en plein air dans une cour. Certains jours, selon l'humeur du gardien, j'effectuais ce qu'il dénommait quelques "Coucher! debout!". Cela consistait 1) sur son ordre "coucher!" à se jeter à terre et à effectuer plusieurs flexions. 2) Sur l'ordre "debout!" à courir. Cet exercice durait entre 5 à 10 minutes. En regagnant mon caveau, j'enfilais un couloir longeant trois cellules semblables à celles que l'on voit dans les films américains; elles étaient occupées, leurs occupants visibles derrière les barreaux.
Je m'aperçus aussi que la porte de mon tombeau comportait un mouchard. J'arrachais une écharde de mon bat-flanc. Avec l'aide de celle-ci, je réussis à faire pivoter de l'intérieur la pièce de bois et découvris le couloir éclairé par un soupirail et les occupants des cellules.
En haussant fortement la voix, j'arrivais à converser avec les détenus des deux premières cellules.
Les gardiens allemands ne faisaient que rarement d'intrusions intempestives dans notre quartier et leur arrivée était précédée par le cliquetis des verrous.
Evidemment, ils découvraient obligatoirement le mouchard désobstrué, huchaient, le remettaient en place, et parfois me laissaient dans l'obscurité complète deux ou trois jours consécutifs.
J'appris ainsi que j'étais au mitard, l'endroit le plus redouté de Nazareth.
Je déduisis que mon isolement était consécutif soit aux ordres reçus de la Gestapo, soit aux coups de tête asséné au Feldgendarme à Pontivy. Mon transfert au mitard était la punition infligée pour ma curiosité.
La première cellule, la plus poche, était occupée par un seul détenu. Il s'appelait Salomon, parisien, juif et impliqué dans une affaire grave. Deux condamnés à mort se partageaient la 2e cellule; l'un natif d'Hennebont s'appelait Bouèdec. Je ne me souviens plus du nom du second.
Ils étaient entravés jour et nuit, mais, par un moyen astucieux (une épingle), ils se libéraient de leurs entraves en un tour de main. Ils les remettaient en quelques secondes lorsque alertés par les bruits annonçant la venue des gardiens. Ils avaient émis un recours en grâce.
La 3e cellule renfermait elle aussi deux condamnés à mort. Tous avaient été arrêtés depuis plusieurs mois. Ils n'occupaient leur cellule que depuis leur condamnation, exception faite de Salomon qui n'avait pas été jugé.
Ils m'apprirent tout sur le régime carcéral de la prison. Le tiers était affecté aux droits communs français. L'autre partie sous l'autorité allemande aux détenus français ayant eu maille à partir avec les occupants. Je leur appris qu'il existait aussi une autre aile des soldats emprisonnés. Le siège de la Gestapo, que l'on appelait aussi SD, était situé rue Jeanne d'Arc. Les interrogatoires, l'instruction, le jugement s'étendaient quelquefois sur plusieurs mois.
Confinés dans notre sous-sol, nous étions privés de toute information. Nous sortions, séparément, en silence (ablution, tinette, eau). Les périodes durant lesquelles j'étais plongé dans l’obscurité ne m'affectaient guère, l'univers demeurait le même. Je redoutais les interrogatoires futurs. Je souffris du froid durant tout mon séjour dans ce tombeau, aucune couverture ne me fut allouée. Nous étions aux premiers jours d'avril, la froidure me paralysait les pieds.
Nos gardiens étaient des quinquagénaires plutôt débonnaires, mais criards. je savais que cette quiétude s'achèverait. Je ne comprenais pas que la Feldgendarmerie de Pontivy se soit substituée à celles de Carhaix, Chateauneuf ou Quimper dont Gourin et sa région étaient le terrain de chasse.
(A suivre)
Le matin suivant, selon un processus qui ne variera pas, vers 10h30, la porte s'ouvre et sur un signe d'un gardien que je suis, je procède à mes ablutions en plein air dans une cour. Certains jours, selon l'humeur du gardien, j'effectuais ce qu'il dénommait quelques "Coucher! debout!". Cela consistait 1) sur son ordre "coucher!" à se jeter à terre et à effectuer plusieurs flexions. 2) Sur l'ordre "debout!" à courir. Cet exercice durait entre 5 à 10 minutes. En regagnant mon caveau, j'enfilais un couloir longeant trois cellules semblables à celles que l'on voit dans les films américains; elles étaient occupées, leurs occupants visibles derrière les barreaux.
Je m'aperçus aussi que la porte de mon tombeau comportait un mouchard. J'arrachais une écharde de mon bat-flanc. Avec l'aide de celle-ci, je réussis à faire pivoter de l'intérieur la pièce de bois et découvris le couloir éclairé par un soupirail et les occupants des cellules.
En haussant fortement la voix, j'arrivais à converser avec les détenus des deux premières cellules.
Les gardiens allemands ne faisaient que rarement d'intrusions intempestives dans notre quartier et leur arrivée était précédée par le cliquetis des verrous.
Evidemment, ils découvraient obligatoirement le mouchard désobstrué, huchaient, le remettaient en place, et parfois me laissaient dans l'obscurité complète deux ou trois jours consécutifs.
J'appris ainsi que j'étais au mitard, l'endroit le plus redouté de Nazareth.
Je déduisis que mon isolement était consécutif soit aux ordres reçus de la Gestapo, soit aux coups de tête asséné au Feldgendarme à Pontivy. Mon transfert au mitard était la punition infligée pour ma curiosité.
La première cellule, la plus poche, était occupée par un seul détenu. Il s'appelait Salomon, parisien, juif et impliqué dans une affaire grave. Deux condamnés à mort se partageaient la 2e cellule; l'un natif d'Hennebont s'appelait Bouèdec. Je ne me souviens plus du nom du second.
Ils étaient entravés jour et nuit, mais, par un moyen astucieux (une épingle), ils se libéraient de leurs entraves en un tour de main. Ils les remettaient en quelques secondes lorsque alertés par les bruits annonçant la venue des gardiens. Ils avaient émis un recours en grâce.
La 3e cellule renfermait elle aussi deux condamnés à mort. Tous avaient été arrêtés depuis plusieurs mois. Ils n'occupaient leur cellule que depuis leur condamnation, exception faite de Salomon qui n'avait pas été jugé.
Ils m'apprirent tout sur le régime carcéral de la prison. Le tiers était affecté aux droits communs français. L'autre partie sous l'autorité allemande aux détenus français ayant eu maille à partir avec les occupants. Je leur appris qu'il existait aussi une autre aile des soldats emprisonnés. Le siège de la Gestapo, que l'on appelait aussi SD, était situé rue Jeanne d'Arc. Les interrogatoires, l'instruction, le jugement s'étendaient quelquefois sur plusieurs mois.
Confinés dans notre sous-sol, nous étions privés de toute information. Nous sortions, séparément, en silence (ablution, tinette, eau). Les périodes durant lesquelles j'étais plongé dans l’obscurité ne m'affectaient guère, l'univers demeurait le même. Je redoutais les interrogatoires futurs. Je souffris du froid durant tout mon séjour dans ce tombeau, aucune couverture ne me fut allouée. Nous étions aux premiers jours d'avril, la froidure me paralysait les pieds.
Nos gardiens étaient des quinquagénaires plutôt débonnaires, mais criards. je savais que cette quiétude s'achèverait. Je ne comprenais pas que la Feldgendarmerie de Pontivy se soit substituée à celles de Carhaix, Chateauneuf ou Quimper dont Gourin et sa région étaient le terrain de chasse.
(A suivre)
Re: Il y a 74 ans
Merci.
Jean46- Messages : 2079
Date d'inscription : 29/06/2016
Age : 65
Localisation : Escamps
Re: Il y a 74 ans
C'est toujours aussi prenant.....
rodp17- Messages : 3638
Date d'inscription : 21/05/2016
Localisation : FR
Re: Il y a 74 ans
La suite !
Raph- Messages : 3198
Date d'inscription : 11/10/2017
Age : 46
Localisation : LYON
Re: Il y a 74 ans
Génial !
Encore merci pour le partage.
Encore merci pour le partage.
_________________
Mon blog : http://jardinsdepierre.blogspot.fr/
naash- Messages : 3233
Date d'inscription : 01/06/2016
Re: Il y a 74 ans
Merci pour ce récit qui nous tient en haleine de semaine en semaine.
Mike Casey- Messages : 1533
Date d'inscription : 28/05/2016
Age : 58
Localisation : La Rochelle
Re: Il y a 74 ans
Suite:
Bouédec me répétait que les interrogatoires seraient pénibles et que des aveux même partiels seraient vains et exploités.
Le 9e ou 10e jour, à une heure inusitée, apparut un gardien. "Tribunal" proféra-t-il.
Je suis décontenancé: "déjà!" pensai-je. Menotté, je prends place dans une traction entre deux soldats: destination le siège du SD. Je me trouve en présence de deux gradés SS et d'une dactylo allemande. Mes papiers sont étalés sur la table. Interrogatoire d'identité, parents, activités professionnelles. Mon Ausweis les intrigue. La dactylo pianote. Questions. Les deux SS se concertent fréquemment dans leur langue. Le mot "Provocateur" revient souvent. Je pense qu'ils font allusion aux miliciens. Pas de questions brûlantes. Retour au mitard.
Un matin, deux ou trois jours plus tard, de très bonne heure, un groupe d'Allemands pénètre dans le couloir, s'arrête devant la 2e cellule. Je manœuvre le mouchard. J'ai compris: recours en grâce rejeté. Un aumônier allemand offre ses services. Bouédec refuse, l'autre accepte. Ils écrivent. Bouédec exprime le désir d'être fusillé torse nu et que ses vêtements soient remis à son frère. Calmement, entravés, ils quittent leur cellule, crient "Salut les copains!" et entonnent l'Internationale.
La même scène se reproduit le lendemain, mais l'un des condamnés pique une crise d'hystérie. Il faut le ligoter et pratiquement l'emporter. Salomon sanglote. Les cellules sont immédiatement regarnies.
Je supportais aisément le second interrogatoire et les quelques coups de nerf de bœuf amortis par l'épais blouson que je portais. Quelques jours plus tard, je me trouvais en présence des mêmes SS. La séance dura environ trois heures et fut plus "corsée". Je fis connaissance avec la baignoire. Cela consistait à être plongé nu dans une baignoire remplie d'eau réfrigérée par, je l'apprendrai plus tard, du chlorure de méthyle, pieds et mains entravés.
Ce n'était pas la froidure de l'eau qui m'importunait, mais l'asphyxie consécutive à l'immersion totale de la tête. des déjections et vomissures apparaissaient sur la surface de l'eau. La séance était bien sûr agrémentée de coups de nerf de bœuf dont les premiers sont les plus douloureux surtout lorsqu'appliqués sur un corps nu étendu sur une table.
Je continuais à nier et m'évanouis une fois.
Le Vendredi Saint eut lieu le dernier interrogatoire. Il dura environ sept heures. L'un des miliciens, celui qui s'exprimait en breton (Le R.) était présent. Je compris que les choses sérieuses commençaient et que la négation était de mise. Avouer un tant soit peu était me condamner, provoquer des arrestations, des confrontations. Mon espoir était de me lasser moins vite que mes tortionnaires. J'avais compris par expérience que le mutisme absolu ne servait à rien, qu'il fallait gagner du temps, dire n'importe quoi, cacher l'essentiel, suspendre les immersions, récupérer. Je craignais de périr asphyxié. Les SS étaient un tantinet naïfs: selon leur loi, un inculpé bien malmené devait avouer. Le milicien qui, lui aussi, intervenait et contribuait à me maintenir la tête sous l'eau et à l'occasion maniait le nerf de bœuf ne semblait pas bénéficier d'une extrême considération de leur part.
Ils s'absentèrent, pour déjeuner sans doute. Je demeurais nu sous la surveillance d'un garde.
Ma plus chaude alerte advint de leur connaissance de ma blessure.
(Note: mon grand-père avait été blessé au pied lors d'un accrochage nocturne entre les maquisards de Spézet et des forces allemandes en février 1944).
La balle avait traversé le pied droit, la trace, bien que datant de près de 2 mois, était visible. Je reconnus le fait sans biaiser. J'affabulais: date erronée, rencontre inopinée nuitamment avec un inconnu mal intentionné et armé d'un revolver, que j'avais discerné tardivement, bagarre, lune éclairant les lieux, etc. Le SS consulta un calendrier, la date correspondait avec la pleine lune: coïncidence heureuse. Il parut contrarié.
Il me reste aussi gravée en ma mémoire la phrase: "Et dire qu'il y a des gens qui défendent des bandits tels que vous!".
Je regagnais mon mitard exténué, vidé. Quelques instants plus tard, un gardien m'apporta enveloppé dans un torchon du lard et du pain. J'apprendrai plus tard que mon père s'était présenté ce vendredi et que, par inadvertance, son paquet avait été accepté et remis.
(A suivre)
Bouédec me répétait que les interrogatoires seraient pénibles et que des aveux même partiels seraient vains et exploités.
Le 9e ou 10e jour, à une heure inusitée, apparut un gardien. "Tribunal" proféra-t-il.
Je suis décontenancé: "déjà!" pensai-je. Menotté, je prends place dans une traction entre deux soldats: destination le siège du SD. Je me trouve en présence de deux gradés SS et d'une dactylo allemande. Mes papiers sont étalés sur la table. Interrogatoire d'identité, parents, activités professionnelles. Mon Ausweis les intrigue. La dactylo pianote. Questions. Les deux SS se concertent fréquemment dans leur langue. Le mot "Provocateur" revient souvent. Je pense qu'ils font allusion aux miliciens. Pas de questions brûlantes. Retour au mitard.
Un matin, deux ou trois jours plus tard, de très bonne heure, un groupe d'Allemands pénètre dans le couloir, s'arrête devant la 2e cellule. Je manœuvre le mouchard. J'ai compris: recours en grâce rejeté. Un aumônier allemand offre ses services. Bouédec refuse, l'autre accepte. Ils écrivent. Bouédec exprime le désir d'être fusillé torse nu et que ses vêtements soient remis à son frère. Calmement, entravés, ils quittent leur cellule, crient "Salut les copains!" et entonnent l'Internationale.
La même scène se reproduit le lendemain, mais l'un des condamnés pique une crise d'hystérie. Il faut le ligoter et pratiquement l'emporter. Salomon sanglote. Les cellules sont immédiatement regarnies.
Je supportais aisément le second interrogatoire et les quelques coups de nerf de bœuf amortis par l'épais blouson que je portais. Quelques jours plus tard, je me trouvais en présence des mêmes SS. La séance dura environ trois heures et fut plus "corsée". Je fis connaissance avec la baignoire. Cela consistait à être plongé nu dans une baignoire remplie d'eau réfrigérée par, je l'apprendrai plus tard, du chlorure de méthyle, pieds et mains entravés.
Ce n'était pas la froidure de l'eau qui m'importunait, mais l'asphyxie consécutive à l'immersion totale de la tête. des déjections et vomissures apparaissaient sur la surface de l'eau. La séance était bien sûr agrémentée de coups de nerf de bœuf dont les premiers sont les plus douloureux surtout lorsqu'appliqués sur un corps nu étendu sur une table.
Je continuais à nier et m'évanouis une fois.
Le Vendredi Saint eut lieu le dernier interrogatoire. Il dura environ sept heures. L'un des miliciens, celui qui s'exprimait en breton (Le R.) était présent. Je compris que les choses sérieuses commençaient et que la négation était de mise. Avouer un tant soit peu était me condamner, provoquer des arrestations, des confrontations. Mon espoir était de me lasser moins vite que mes tortionnaires. J'avais compris par expérience que le mutisme absolu ne servait à rien, qu'il fallait gagner du temps, dire n'importe quoi, cacher l'essentiel, suspendre les immersions, récupérer. Je craignais de périr asphyxié. Les SS étaient un tantinet naïfs: selon leur loi, un inculpé bien malmené devait avouer. Le milicien qui, lui aussi, intervenait et contribuait à me maintenir la tête sous l'eau et à l'occasion maniait le nerf de bœuf ne semblait pas bénéficier d'une extrême considération de leur part.
Ils s'absentèrent, pour déjeuner sans doute. Je demeurais nu sous la surveillance d'un garde.
Ma plus chaude alerte advint de leur connaissance de ma blessure.
(Note: mon grand-père avait été blessé au pied lors d'un accrochage nocturne entre les maquisards de Spézet et des forces allemandes en février 1944).
La balle avait traversé le pied droit, la trace, bien que datant de près de 2 mois, était visible. Je reconnus le fait sans biaiser. J'affabulais: date erronée, rencontre inopinée nuitamment avec un inconnu mal intentionné et armé d'un revolver, que j'avais discerné tardivement, bagarre, lune éclairant les lieux, etc. Le SS consulta un calendrier, la date correspondait avec la pleine lune: coïncidence heureuse. Il parut contrarié.
Il me reste aussi gravée en ma mémoire la phrase: "Et dire qu'il y a des gens qui défendent des bandits tels que vous!".
Je regagnais mon mitard exténué, vidé. Quelques instants plus tard, un gardien m'apporta enveloppé dans un torchon du lard et du pain. J'apprendrai plus tard que mon père s'était présenté ce vendredi et que, par inadvertance, son paquet avait été accepté et remis.
(A suivre)
Re: Il y a 74 ans
Quel courage !
Jean46- Messages : 2079
Date d'inscription : 29/06/2016
Age : 65
Localisation : Escamps
Re: Il y a 74 ans
Merci Celebrimbor, je relie ca a l'experience de mon grand-oncle egalement arrete et torture par Mr Barbie a Lyon. Il n'a jamais voulu en parler.
La seule chose qu'il m'a raconte est son sejour a Buchenwald, comment il a ete sauve du haut de ses 17 ans par le reseau communiste alors qu'il etait en deperissement complet - et on comprend les liens qui existaient apres guerre entre tous ces hommes dont certains sont devenus senateurs - puis l'evacuation atroce vers la fin de la guerre et son evasion lors de la marche forcee.
J'ai cru comprendre qu'il a ete recueilli par un equipage de char anglais. "ils etaient et prenaient leur the". J'avais un grand trou sur son interrogation (on savait juste qu'il avait ete torture par la gestapo et qu'ils s'etaient lasse au bout d'un moment".
Toute son histoire, du reseau a sa survie nous rend tous minuscules en comparaison, je me demande souvent comment nous aurions pu vivre ne serait-ce qu'un quart de ce qu'il a vecu. Il a recu la croix de guerre des mains de Leclerc si je me souviens bien et la legion d'honneur.
Apres la guerre, il est devenu directeur de societe. Il ne supportait pas plus les maillots marin a rayure. Il etait malade et affaiblit ces dernieres annees et ne voulait plus vivre. Il connaissait l'identite de celui qui l'a denonce, toujours en liberte apres la guerre. Il n'a rien fait pour se venger et n'a rien demande.
A la fin de ses jours Il a subit une operation de laquelle il avait emis le souhait de ne pas se "reveiller". Quand il s'est rendu compte qu'il avait survecu, il a arrache tous les fils de rage et s'est eteint quelques jours plus tard.
La force de caractere de cette generation ne peut que nous laisser sans voix.
La seule chose qu'il m'a raconte est son sejour a Buchenwald, comment il a ete sauve du haut de ses 17 ans par le reseau communiste alors qu'il etait en deperissement complet - et on comprend les liens qui existaient apres guerre entre tous ces hommes dont certains sont devenus senateurs - puis l'evacuation atroce vers la fin de la guerre et son evasion lors de la marche forcee.
J'ai cru comprendre qu'il a ete recueilli par un equipage de char anglais. "ils etaient et prenaient leur the". J'avais un grand trou sur son interrogation (on savait juste qu'il avait ete torture par la gestapo et qu'ils s'etaient lasse au bout d'un moment".
Toute son histoire, du reseau a sa survie nous rend tous minuscules en comparaison, je me demande souvent comment nous aurions pu vivre ne serait-ce qu'un quart de ce qu'il a vecu. Il a recu la croix de guerre des mains de Leclerc si je me souviens bien et la legion d'honneur.
Apres la guerre, il est devenu directeur de societe. Il ne supportait pas plus les maillots marin a rayure. Il etait malade et affaiblit ces dernieres annees et ne voulait plus vivre. Il connaissait l'identite de celui qui l'a denonce, toujours en liberte apres la guerre. Il n'a rien fait pour se venger et n'a rien demande.
A la fin de ses jours Il a subit une operation de laquelle il avait emis le souhait de ne pas se "reveiller". Quand il s'est rendu compte qu'il avait survecu, il a arrache tous les fils de rage et s'est eteint quelques jours plus tard.
La force de caractere de cette generation ne peut que nous laisser sans voix.
Gilles78- Messages : 1250
Date d'inscription : 03/04/2017
Re: Il y a 74 ans
Merci Gilles. Je suis très admiratif par ce qu'ont vécu les combattants de cette génération.
Je termine la retranscription du chapitre.
J'avais soif, le dos et les fesses en feu. Durant quinze jours, je ne pourrais pas me coucher sur le dos. J'avais aussi le majeur de la main droite fracturé et déformé à vie.
Je vécus les jours suivants dans la crainte d'une nouvelle entrevue avec la Gestapo.
Salomon revint quelques jours plus tard d'un interrogatoire pénible. Il m'assura que s'il avait disposé d'un fragment de verre, il se serait ouvert les veines.
Plus tard, mon isolement fut brisé: un compagnon me fut adjoint. Il s'appelait Calindre, était secrétaire de mairie à Ploërmel et impliqué dans la même affaire que Salomon (peu bavard). Arrêté en janvier, il avait séjourné en cellule avec deux codétenus et conservait de ses rapports avec le SD le nez fracturé. Notre cohabitation ne dura que deux jours.
Je termine la retranscription du chapitre.
J'avais soif, le dos et les fesses en feu. Durant quinze jours, je ne pourrais pas me coucher sur le dos. J'avais aussi le majeur de la main droite fracturé et déformé à vie.
Je vécus les jours suivants dans la crainte d'une nouvelle entrevue avec la Gestapo.
Salomon revint quelques jours plus tard d'un interrogatoire pénible. Il m'assura que s'il avait disposé d'un fragment de verre, il se serait ouvert les veines.
Plus tard, mon isolement fut brisé: un compagnon me fut adjoint. Il s'appelait Calindre, était secrétaire de mairie à Ploërmel et impliqué dans la même affaire que Salomon (peu bavard). Arrêté en janvier, il avait séjourné en cellule avec deux codétenus et conservait de ses rapports avec le SD le nez fracturé. Notre cohabitation ne dura que deux jours.
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